Perspective —Liens entre le harcèlement policier et la vulnérabilité au VIH chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les femmes transgenres en Jamaïque

Carmen H. Logie, Ashley Lacombe-Duncan, Kathleen S. Kenny, Kandasi Levermore, Nicolette Jones, Annecka Marshall et Peter A. Newman

Contexte

La criminalisation des pratiques sexuelles entre personnes de même sexe entrave la prévention du VIH pour les homosexuels, les bisexuels et les autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et, notamment en raison de la confusion entre genre et sexualité, pour les femmes transgenres.1 La criminalisation est un moteur structurel de la propagation du VIH. En effet, elle a de nombreuses incidences indirectes sur la vulnérabilité au VIH : diminution du financement des programmes de prévention, de traitement et de soins du VIH destinés aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et aux femmes transgenres ; peur accrue de demander des soins de santé ; dénis de services en raison de la stigmatisation ; exclusion sociale et familiale pouvant contribuer à des taux élevés de sans-abrisme ; discrimination en matière d’emploi et de logement qui augmente l’insécurité économique et le travail du sexe motivé par la survie ; absence de protection des droits de l’homme qui accroît l’exposition à la violence de la part des membres de la communauté et de la police.2 La criminalisation peut favoriser l’émergence d’une stigmatisation manifeste, telle que des formes manifestes d’exclusion sociale et de violence, ainsi que d’une stigmatisation perçue, par laquelle les individus craignent d’être rejetés et traités négativement par d’autres en raison de leur identité sexuelle ou de genre, réelle ou perçue.3

Rares sont les données scientifiques établissant un lien direct entre, d’une part, les violations des droits des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et des droits des femmes transgenres et, d’autre part, les vulnérabilités au VIH dans les pays à revenu intermédiaire où les pratiques sexuelles entre personnes de même sexe sont criminalisées. En Jamaïque, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes présentent les taux de transmission du VIH les plus élevés des Caraïbes (entre 14 et 31 %).4 Une étude récente sur les femmes transgenres en Jamaïque a fait état d’une prévalence du VIH de 25 % parmi ce groupe et a indiqué que l’infection à VIH était associée à la violence.5 Des études qualitatives ont souligné combien la violence à l’encontre des personnes de sexualité et de genre diversifiés en Jamaïque compromet les droits de l’homme et le bien-être de celles-ci.6

La criminalisation des pratiques sexuelles entre personnes de même sexe en Jamaïque remonte à 1864, sous la domination coloniale britannique. L’article 76 de la loi sur les infractions contre les personnes stipule que la « sodomie » (rapports sexuels anaux) est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement et de travaux forcés.7 En vertu de cette disposition, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les femmes transgenres à qui l’on attribue à tort le genre masculin (un concept connu sous le vocable de « mégenrer ») peuvent également être condamnés à une peine de prison allant jusqu’à deux ans et à exécuter des travaux forcés s’ils sont reconnus coupables d’avoir commis « un acte de grossière indécence avec une autre personne de sexe masculin, eux-mêmes en tant qu’individus de sexe masculin. »8 Les militants indiquent que les arrestations et les poursuites sont rares : la loi est surtout utilisée pour justifier d’autres violations des droits de l’homme, telles que la discrimination en matière d’emploi, de santé et de logement, ainsi que la violence.9 En outre, il est difficile de contester les violations des droits de l’homme puisque l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne sont pas protégées par la Charte jamaïcaine des droits et libertés fondamentaux. Une étude réalisée en 2014 par Human Rights Watch a interrogé des membres de la communauté LGBT jamaïcaine (n = 71) et a révélé que plus de la moitié d’entre eux avaient fait l’objet de violence homophobe ou transphobe. Plus d’un tiers d’entre eux ont signalé ces délits à la police, qui a pris une déposition officielle dans huit cas, menant à quatre arrestations seulement.10

Certaines études ont commencé à décrire l’impact de la criminalisation des pratiques sexuelles entre personnes de même sexe et de l’homosexualité et, dans une moindre mesure, du harcèlement policier sur la vulnérabilité au VIH des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et des femmes transgenres.11 Une étude quantitative menée par Sonya Arreola et al. auprès d’hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (n = 3 340) de 115 pays a révélé que le manque d’accès à la prévention, au dépistage et au traitement du VIH était directement lié à la criminalisation fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre.12 Au Nigeria, Sheree Schwartz et al. ont constaté que la mise en œuvre de la loi interdisant le mariage entre conjoints de même sexe (Same Sex Marriage Prohibition Act) avait poussé les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes à craindre et à éviter les soins de santé.13 En Jamaïque, le fait d’être ou d’avoir été incarcéré en raison d’une identité transgenre a été associé à des niveaux considérablement plus faibles de dépistage du VIH chez les femmes transgenres.14 De même, le fait d’avoir été incarcéré a été associé à une augmentation des risques d’infection au VIH parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes dans ce pays.15 En Inde, les professionnelles du sexe transgenres rapportent que le harcèlement policier incessant dont elles font l’objet les oblige souvent à se déplacer et travailler dans des milieux inconnus, réduisant leur choix de clients et menaçant leur sécurité, ce qui accroît leur vulnérabilité au VIH.16

Cet article utilise la Jamaïque comme étude de cas et examine les facteurs associés au harcèlement policier visant les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les femmes transgenres. Notre but est de démontrer de quelle façon le harcèlement policier influe sur les vulnérabilités au VIH et agit en tant que moteur social du VIH pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les femmes transgenres dans les environnements où les rapports sexuels consensuels entre personnes de même sexe sont criminalisés.

Méthode

Nous avons mené une étude transversale impliquant des homosexuels, des bisexuels et d’autres hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ainsi que des femmes transgenres à Kingston, Ocho Rios et Montego Bay en 2015. Notre objectif était d’examiner les moteurs sociaux et les facteurs protecteurs ayant une incidence sur la vulnérabilité au VIH et aux IST des minorités sexuelles et de genre en Jamaïque. Les participants ont été recrutés par des pairs-assistants de recherche et du personnel formé qui s’est autodéclaré homosexuel, bisexuel ou membre d’autres minorités sexuelles ou de genre. Le recrutement s’est fait au moyen de la méthode d’échantillonnage par réseau. Tous les participants ont répondu à une enquête sur tablette comprenant des questions se recoupant et des questions uniques, adaptées à leur expérience en tant qu’hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ou femmes transgenres. Leur consentement éclairé écrit a été obtenu au moment de l’enquête. Le Comité d’éthique de la recherche de l’Université de Toronto, au Canada, et la University of the West Indies (campus Mona, Kingston, Jamaïque) ont approuvé l’étude (Protocole n° 30130-UT ; ECP 27,13/14 UWI). Les descriptions détaillées des méthodes et mesures sont documentées ailleurs.17

Dans le cadre de cette analyse, l’expérience de harcèlement policier a été mesurée en posant la question suivante : « À quelle fréquence êtes-vous harcelé(é) par la police parce que vous êtes homosexuel ou bisexuel (pour les homosexuels, les bisexuels et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) ou parce que vous êtes trans (pour les femmes transgenres) ? ». Les réponses ont été classées dans les catégories « non, jamais » ou « oui » (pour ceux qui ont indiqué avoir été quelques fois, plusieurs fois ou toujours harcelés).

Les facteurs individuels et historiques mesurés étaient notamment les suivants : âge (variable continue, en années), niveau de scolarité (en deçà des études secondaires, comparativement au fait d’avoir un niveau d’études secondaires ou supérieur), revenu mensuel (variable continue, USD), statut VIH (positif ou négatif) et dépression (variable continue, mesurée à l’aide du Questionnaire sur la santé des patients-2).18

Les facteurs mesurés au niveau interpersonnel étaient notamment les suivants : soutien social (variable continue, mesurée à l’aide d’une brève sous-échelle de soutien social pour évaluer les besoins de soutien social non satisfaits), utilisation régulière du préservatif (variable dichotomique, oui ou non ; les participants étaient considérés comme « utilisant régulièrement le préservatif » si le nombre de fois où ils ont déclaré avoir des rapports sexuels était identique au nombre de fois où ils ont déclaré avoir utilisé un préservatif), statut relationnel (variable catégorique : en couple/rencontres occasionnelles, sans partenaire, partenariats simultanés), efficacité personnelle des rapports sexuels à moindre risque (variable continue, utilisation d’une échelle de négociation des rapports sexuels à moindre risque) et violence physique (variable dichotomique, oui ou non).

Les facteurs structurels et environnementaux mesurés étaient notamment les suivants : pratique du travail du sexe au cours des 12 derniers mois, insécurité alimentaire (variable dichotomique, oui ou non ; les participants étaient considérés comme en situation d’« insécurité alimentaire » s’ils déclaraient aller se coucher sans avoir mangé au moins une fois par semaine), logement instable (variable dichotomique, oui ou non ; les participants étaient considérés comme en situation de logement instable s’ils avaient l’habitude de dormir dehors, dans un refuge ou chez un ami ou un parent), expériences personnelles de stigmatisation sexuelle perçue (variable continue, échelle en cinq points mesurant la sensibilisation aux normes sociales et communautaires négatives concernant les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ; par exemple, « Combien de fois avez-vous entendu dire que les hommes homosexuels ou bisexuels ne sont pas normaux ? » ; coefficient alpha de Cronbach = 0,73 ; échelle de 7 à 35), expériences personnelles de stigmatisation sexuelle manifeste (variable continue, échelle en sept points mesurant les actes de discrimination, de violence et de mauvais traitements fondés sur l’orientation sexuelle ; par exemple, « Combien de fois avez-vous été frappé(e) ou battu(e) à cause de votre homosexualité ou bisexualité ? » ; coefficient alpha de Cronbach = 0,88 ; échelle de 7 à 49), expériences personnelles de stigmatisation transgenre perçue (variable continue, échelle en cinq points mesurant la sensibilisation aux normes sociales et communautaires négatives à l’égard des personnes transgenres ; par exemple, « Combien de fois avez-vous entendu dire que les personnes transgenres ne sont pas normales ? » ; coefficient alpha de Cronbach = 0,77 ; échelle de 7 à 28) et expériences personnelles de stigmatisation transgenre manifeste (variable continue, échelle en sept points mesurant les actes de discrimination, de violence et de mauvais traitements fondés sur l’identité transgenre ; par exemple : « Combien de fois avez-vous été frappé(e) ou battu(e) parce que vous êtes transgenre ? » ; coefficient alpha de Cronbach = 0,61 ; échelle de 5 à 20). Nous avons également évalué si les participants avaient rencontré des obstacles à l’accès aux soins de santé (variable dichotomique, oui ou non) et s’ils disposaient d’un prestataire habituel de soins de santé (variable dichotomique, oui ou non), et nous avons mesuré les scores d’autonomisation des participants (variable continue, utilisation de la mesure de « croissance et d’autonomisation » ou Growth and Empowerment Measure en anglais).19

Nous avons utilisé des méthodes d’analyse quantitative (particulièrement la régression logistique) pour estimer les rapports de cotes (RC) ajustés et non ajustés et les intervalles de confiance (IC) à 95 % quant aux probabilités de harcèlement policier parmi (1) les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et (2) les femmes transgenres. Les variables statistiquement significatives (indiquées par une valeur p inférieure à 0,05) ou théoriquement importantes pour déterminer la vulnérabilité au VIH ont été prises en compte dans le modèle multivariable complet. Une approche régressive manuelle par étapes a été appliquée, selon laquelle les variables présentant une force d’association moindre ont été systématiquement retirées du modèle, de sorte que le modèle final comportait uniquement les variables les plus significatives associées au harcèlement policier. Les tableaux 2 et 3 montrent les valeurs p bilatérales et les rapports de cotes ajustés et non ajustés avec des intervalles de confiance à 95 % pour les facteurs associés de façon significative aux résultats chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les femmes transgenres, respectivement. Toutes les analyses statistiques ont été effectuées à l’aide du logiciel SAS version 9.3 (SAS Institute, Cary, Caroline du Nord, États-Unis) ou SPSS version 24 (SPSS, Chicago, États-Unis).

Résultats de l’étude

Cet échantillon de jeunes hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (n = 556 ; moyenne d’âge de 24 ans, EI : 22-28) et de femmes transgenres (n = 137 ; moyenne d’âge de 24 ans, EI : 15-44) se caractérisait par une extrême insécurité économique, une mauvaise santé et des taux élevés de harcèlement policier. Plus précisément, près de la moitié des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et plus de la moitié des femmes transgenres ont déclaré souffrir d’insécurité alimentaire, et un tiers des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et la moitié et des femmes transgenres ont déclaré être en situation de logement instable. Plus d’un quart des femmes transgenres étaient séropositives, contre 13, 5 % des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Un cinquième (n = 124, 22,3 %) des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ont déclaré avoir fait l’objet de harcèlement policier en raison de leur orientation sexuelle, et 60 (43,8 %) femmes transgenres ont rapporté avoir fait l’objet de harcèlement policier en raison de leur identité de genre. 11,8 % des femmes transgenres ont déclaré avoir été incarcérées une à trois fois et 4,4 % avoir été emprisonnées quatre à six fois parce qu’elles étaient transgenres.

Tableau 1. Caractéristiques des participants

Caractéristique Hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes Femmes transgenres
n = 556 Manquant n = 137 Manquant
Âge, en années (médiane, écart interquartile) 24 (22-28) 14 24 (15-44) 7
Possède au minimum un diplôme d’études secondaires (n, %) 478 (86,0) 109 (80,7) 2
Revenu mensuel en USD (médiane, écart interquartile) 144 (10-280) 20 123,45 (0-2 469) 23
Est séropositif (n, %) 67 (13,5) 58 26 (25,24) 34
Statut relationnel (n, %) 2 1
     En couple ou rencontres occasionnelles 383 (69,1) 79 (58,1)
     Aucun partenaire 133 (24,9) 31 (22,8)
     Partenariats simultanés 33 (6,0) 26 (19,1)
A subi des violences physiques (n, %) 338 (61,3) 5 62 (45,93) 1
A pratiqué le commerce du sexe au cours des 12 derniers mois 182 (32,7) 71 (51,82)
Est en situation d’insécurité alimentaire (n, %) 266 (47,9) 1 82 (59,9)
Est en situation de logement instable (n, %) 175 (32,8) 23 71 (51,8) 3
Ne dispose pas d’un prestataire habituel de soins de santé (n, %) 235 (42,3) 95 (69,34)
A fait l’objet de harcèlement policier en raison de son orientation ou identité de genre (n, %) 124 (22,3) 60 (43,8)
A été incarcéré vraisemblablement en raison de son identité transgenre (n, %) 10
     Entre 1 et 3 fois 15 (11,8)
     Entre 4 et 6 fois 6 (4,4)

Dans les analyses bivariables non ajustées impliquant des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, plusieurs facteurs étaient associés à une augmentation des risques de harcèlement policier résultant en raison de leur orientation sexuelle : formation en deçà des études secondaires, séropositivité, pratique du travail du sexe au cours des 12 derniers mois, partenariats simultanés (par opposition à être en couple), besoin accru de soutien social, utilisation régulière du préservatif, situation d’insécurité alimentaire et de logement instable, être actuellement sans travail, stigmatisation sexuelle perçue ou manifeste, obstacles à l’accès aux soins de santé et absence de prestataire habituel de soins de santé. Un revenu mensuel plus élevé, une efficacité personnelle plus élevée quant aux rapports sexuels à moindre risque et une plus grande autonomisation étaient associés à des risques moindres de subir du harcèlement policier. Dans le dernier modèle multivariables, les probabilités ajustées de faire l’objet de harcèlement policier étaient plus élevées chez les personnes qui étaient séropositives (RC ajusté : 1,85, IC à 95 % : 1,01, 3,38), qui ont déclaré avoir pratiqué le travail du sexe au cours des 12 derniers mois (RC ajusté : 2,47, IC à 95 % : 1,54, 3,96), qui étaient en situation d’insécurité alimentaire (RC ajusté : 2,44, IC à 95 % : 1,51, 3,94) et qui ne disposaient pas d’un prestataire habituel de soins de santé (RC ajusté : 1,66, IC à 95 % : 1,02, 2,71).

Tableau 2. Analyses bivariables et multivariables des facteurs associés au harcèlement policier parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes en Jamaïque (n = 556)

Caractéristique RC non ajusté (IC à 95 %) RC ajusté (IC à 95 %)
Facteurs individuels
     Éducation inférieure au niveau secondaire 2,73 (1,64, 4,53)**
     Revenu mensuel 0,89 (0,80, 0,99)^+*
     Séropositivité 1,96 (1,12, 3,44)* 1,85 (1,01, 3,38)*
     Travail du sexe pratiqué au cours des 12 derniers mois 4,05 (2,67, 6,15)*** 2,47 (1,54, 3,96)**
Facteurs interpersonnels
     Statut relationnel
          Partenariats simultanés (par opposition à être en couple) 5,68 (2,68, 12,04)***
     Score de soutien social^ 1,06 (1,03, 1,09)^**
     Utilisation régulière d’un préservatif 1,74 (1,06, 2,87)*
     Score d’efficacité personnelle des rapports sexuels à moindre risque^ 0,90 (0,83, 0,97)^**
Environnements structurels et environnementaux
     Insécurité alimentaire 3,47 (2,25, 5,35)*** 2,44 (1,51, 3,94)**
     Logement instable 2,23 (1,46, 3,40)**
     Actuellement sans travail 1,85 (1,21, 2,85)**
     Score de stigmatisation sexuelle perçue^ 1,33 (1,24, 1,44)^***
     Score de stigmatisation sexuelle manifeste^ 1,54 (1,42, 1,66)^***
     Score d’autonomisation^ 0,95 (0,93, 0,98)^**
     A rencontré un ou plusieurs obstacles à l’accès aux soins de santé 1,76 (1,17, 2,64)**
     Ne dispose pas d’un prestataire de soins de santé régulier 1,99 (1,30, 3,05)** 1,66 (1,02, 2,71)*

^ par unité d’augmentation

+ par incrément de 100 USD

*p < 0,05 ; **p < 0,001 ; ***p < 0,0001

Dans les analyses bivariables non ajustées impliquant des participants transgenres, plusieurs facteurs étaient associés à une augmentation des risques de harcèlement policier résultant de leur identité transgenre : dépression, séropositivité, pratique du travail du sexe au cours des 12 derniers mois, besoin accru de soutien social, mauvais traitements physiques, situation d’insécurité alimentaire et de logement instable et stigmatisation transgenre perçue ou manifeste. Dans le modèle multivariables final, les probabilités ajustées d’être l’objet de harcèlement policier étaient plus élevées chez les personnes séropositives (RC ajusté : 3,11, IC à 95 % : 1,06, 9,12) et indiquaient des niveaux plus élevés de stigmatisation transgenre manifeste (RC ajusté : 1,68, IC à 95 % : 1,26, 2,07 par unité d’augmentation du score de stigmatisation transgenre manifeste).

Tableau 3. Analyses bivariables et multivariables des facteurs associés au harcèlement policier parmi les femmes transgenres en Jamaïque (n = 137)

Caractéristique OR non ajusté (IC à 95 %) OR ajusté (IC à 95 %)a
Facteurs individuels
     Dépression 1,23 (1,01, 1,50)*
     Séropositivité (n, %) 2,44 (1,01, 5,86)* 3,11 (1,06, 9,12)*
     Travail du sexe pratiqué au cours des 12 derniers mois 2,61 (1,30, 5,25)**
Facteurs interpersonnels
     Score de soutien social 1,09 (1,03, 1,15)**
     Mauvais traitements physiques 2,24 (1,12, 4,48)*
Environnements structurels et environnementaux
     Insécurité alimentaire 2,47 (1,20, 5,05)*
     Logement instable 2,30 (1,14, 4,64)*
     Score de stigmatisation transgenre perçue^ 1,19 (1,06, 1,33)**
     Score de stigmatisation transgenre manifeste^ 1,46 (1,28, 1,66)*** 1,32 (1,15, 1,52)***

^ par unité d’augmentation

*p < 0,05 ; **p < 0,001 ; ***p < 0,0001

a Contrôle au niveau de l’éducation et du revenu

Implications

Notre étude met en lumière le harcèlement policier généralisé parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (22 %) et les femmes transgenres (43 %), un indicateur de violations des droits de l’homme. Dans les contextes où les relations et les pratiques sexuelles consensuelles entre personnes de même sexe sont criminalisées, il est probable que les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les femmes transgenres n’aient pas ou peu accès à la justice lorsque la police commet des actes de violence. Dans les analyses multivariables, nous avons découvert des liens évidents entre le harcèlement policier et les vulnérabilités au VIH : les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les femmes transgenres séropositifs au VIH étaient plus susceptibles de signaler du harcèlement policier que leurs pairs séronégatifs. Bien que cette comparaison n’ait pas été documentée ailleurs, parmi les travailleurs sociaux de sexe masculin ayant des rapports sexuels avec des hommes et œuvrant dans le domaine de la prévention du VIH en Inde, 85 % ont déclaré être harcelés par la police, suggérant le ciblage potentiel des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes en raison de leur association au VIH ou de leur travail lié au VIH.20

Parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes participant à l’étude, ceux qui étaient les plus susceptibles de signaler le harcèlement policier étaient ceux qui pratiquaient le travail du sexe, souffraient d’insécurité alimentaire ou ne disposaient pas d’un prestataire de soins de santé ; et parmi les femmes transgenres, le harcèlement policier était associé à une stigmatisation transgenre manifeste. Ces données témoignent de la nécessité d’adopter une approche intersectorielle pour comprendre les impacts du harcèlement policier sur les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les femmes transgenres marginalisés sur la base d’identités et d’expériences multiples se recoupant (le travail du sexe, la pauvreté et la stigmatisation transgenre).21 Des études sur les professionnels du sexe à l’échelle mondiale ont mis en lumière les effets négatifs de la criminalisation du travail du sexe sur leurs droits de l’homme, leur bien-être et leur accès aux outils de prévention du VIH.22 Selon Kate Shannon et al., la décriminalisation du travail du sexe permettrait d’éviter 33 % à 46 % des infections à VIH au cours de la prochaine décennie et d’améliorer l’accès aux soins de santé et le respect des droits de l’homme.23 De même, des suggestions ont été émises selon lesquelles les interventions comportementales visant à atténuer la vulnérabilité au VIH des professionnelles du sexe transgenres devraient être accompagnées de changements structurels (autonomisation économique et communautaire, fourniture de services de santé culturellement compétents, environnement juridique et social protecteur qui exige le respect de leurs droits de l’homme, etc.).24

Les limites de notre étude incluent une conception transversale ne permettant pas de comprendre la causalité, des mesures d’autodéclaration sujettes aux biais de rappel et de désirabilité sociale, et l’utilisation d’une seule mesure du harcèlement policier. L’étude aurait pu être renforcée en posant des questions aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et aux femmes transgenres sur leurs antécédents d’incarcération. Malgré ces limites, nos analyses fournissent des données quantitatives sur la vulnérabilité au VIH associée au harcèlement policier vécu par les populations clés (les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les femmes transgenres) en Jamaïque. Les effets négatifs de la criminalisation et de la violence policière compromettent les efforts visant à réduire la transmission du VIH parmi les populations clés. Ils réduisent aussi les chances d’atteindre les objectifs de participation des personnes vivant avec le VIH en Jamaïque à la cascade de soins du VIH. Des études longitudinales pourraient être menées pour mieux comprendre la directionnalité des relations entre la violence policière et l’infection à VIH, pour identifier des médiateurs potentiels et pour répondre à des questions clés. Par exemple, le harcèlement policier contribue-t-il à réduire l’accès aux soins de santé et aux services de prévention du VIH et, ainsi, à accroître la vulnérabilité au VIH chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les femmes transgenres en Jamaïque ? L’infection à VIH et la violence policière sont-elles toutes deux associées à une troisième variable (telle que la stigmatisation au niveau communautaire ou la pauvreté) ? Les recherches futures pourraient explorer davantage la complexité des relations entre le harcèlement policier et la vulnérabilité au VIH des populations clés, en Jamaïque et ailleurs.

Le harcèlement policier vécu par les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les femmes transgenres séropositifs au VIH en Jamaïque a un impact évident sur la protection des droits de l’homme en vue d’assurer l’accès à la cascade de soins du VIH. Un appel à l’action a été lancé pour que plus de recherche soit effectuée sur les stratégies efficaces de collaboration avec la police pour amener celle-ci à travailler sur les questions de discrimination, de stigmatisation et de risque de transmission du VIH.25 Ces programmes peuvent comprendre les éléments suivants : des formations qui intègrent des informations sur l’importance de voir la police s’engager dans les efforts de prévention du VIH et collaborer avec les communautés concernées en matière de droits de l’homme et de réduction des risques ; du plaidoyer et de l’éducation par les pairs ; et des stratégies qui rassemblent la police et les communautés dans des contextes non conflictuels.26 Toutefois, comme le suggèrent Andrew Scheibe et al. dans leur étude décrivant les tentatives de mise en œuvre d’interventions visant à améliorer les relations entre la police et les populations clés en Afrique du Sud, sans le soutien de la police ou de la société en général, de telles interventions restent de faible envergure ou ne sont pas du tout mises en œuvre.27 Les futures interventions en Jamaïque pourraient inclure la tenue de discussions conjointes entre la police et les communautés et l’élaboration d’un langage commun visant à modifier les interactions négatives entre la police et les populations clés.28 Les interventions qui s’attaquent aux attitudes sociales stigmatisantes, les protections juridiques visant à accroître l’accès aux services de santé et sociaux et les stratégies de renforcement des relations entre la police et les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les femmes transgenres peuvent contribuer à réduire la vulnérabilité au VIH et à promouvoir les droits de ces deux populations en Jamaïque.

Remerciements

Nous tenons à remercier tous les participants, les pairs-assistants de recherche et les collaborateurs impliqués dans notre étude : Jamaica AIDS Support for Life, Jamaica Forum for Lesbians, All-Sexuals and Gays, Caribbean Vulnerable Communities et Aphrodite’s Pride. Nous souhaitons également remercier les Instituts de recherche en santé du Canada d’avoir financé nos travaux [ID de subvention : 0000303157 ; financement : 495419 ; concours : 201209]. Les travaux de Carmen H. Logie dans le cadre de cette publication sont également soutenus par une bourse du Programme de bourses de nouveaux chercheurs du ministère de la Recherche, de l’Innovation et des Sciences de l’Ontario.

Carmen H. Logie, PhD, est professeure adjointe à la Factor-Inwentash Faculty of Social Work de l’Université de Toronto (Canada) et chercheure adjointe au Women’s College Research Institute (Women’s College Hospital, Toronto, Canada).

Ashley Lacombe-Duncan, MSW, est doctorante à la Factor-Inwentash Faculty of Social Work de l’Université de Toronto (Canada).

Kathleen S. Kenny, MHSc, est doctorante à la Gillings School of Global Public Health de la University of North Carolina (Chapel Hill, États-Unis).

Kandasi Levermore, BSc, est directrice générale de Jamaica AIDS Support for Life à Kingston, en Jamaïque.

Nicolette Jones, MA, est coordinatrice de recherche au sein de Jamaica AIDS Support for Life à Kingston, en Jamaïque.

Annecka Marshall, PhD, est conférencière à l’Institute for Gender and Development Studies de la University of the West Indies (campus Mona, Jamaïque).

Peter A. Newman, PhD, est professeur à la Factor-Inwentash Faculty of Social Work de l’Université de Toronto (Canada).

Veuillez adresser vos correspondances à Carmen H. Logie. Adresse e-mail : carmen.logie@utoronto.ca.

Conflits d’intérêts : aucun déclaré. Travaux financés par les Instituts de recherche en santé du Canada, qui n’ont joué aucun rôle dans la conception, l’analyse ou l’interprétation de l’étude.

Copyright © 2017 Logie, Lacombe-Duncan, Kenny, Levermore, Jones, Marshall, Newman. Article en libre accés diffusé sous licence

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Références

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  12. Arreola et al. (voir note 1).
  13. Schwartz et al. (voir note 1).
  14. Logie et al. (2016, voir note 6).
  15. Figueroa et al. (voir note 4).
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  23. Ibid.
  24. Poteat et al. (voir note 21).
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  26. Ibid.
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  28. Ibid.